L'impossible gratuité

Ce vélo électrique traînait dans le sous-sol depuis bien longtemps, il est arrivé couché par terre, comme négligé, même pas attaché. Qui abandonnerait un vélo aussi cher ?

Grâce au bycicode, numéro unique gravé sur le vélo, j'ai pu retrouver son propriétaire. Comme il avait peur d'une entourloupe, il a délégué à la police le soin de me contacter, puis le propriétaire est venu le récupérer. C'était donc un vélo volé. De la déclaration à la remise au propriétaire, l'opération m'a pris 30 minutes. Je suis chômeur, je ne compte pas mon temps. Ce vélo manquait à quelqu'un, il l'a retrouvé : fin de l'histoire.

Sauf que cette personne a voulu me remercier avec de l'argent...

Je l'avais en face de moi, le flic à côté, et il proposait de me rétribuer pour ma « bonne action ». Je n'aime pas cette façon de voir les choses. On ne paie pas l'altruisme. Voilà ce que j'ai tenté d'expliquer à ce monsieur, manifestement ému de retrouver son vélo et qui tenait à marquer le coup. Manifestement, j'ai échoué.

L'homme semblait gêné, redevable. J'admets qu'il peut être normal de se racheter si on s'excuse, mais pas quand on remercie ! Son attitude est malheureusement fréquente et la simplicité de mon raisonnement semble buter sur un code social que j'estime perverti : toute action doit être à somme nulle. Un service se paie, quel qu'il soit.

Je peux comprendre qu'un petit effort de ma part a eu une grande valeur pour ce monsieur. Mais cela veut aussi dire qu'on ne sera jamais quittes. Il aurait suffit d'accepter mon geste et d'être à son tour généreux auprès d'un inconnu pour sauver le monde.

Une semaine plus tard et après que j'ai refusé ses étrennes, je trouve dans ma boîte aux lettres une carte de vœux accompagnée de 40€ de chèques cadeaux. Je hais ces foutus chèques cadeaux. J'aurais dû prendre le fric quand il l'a proposé et payer mes factures avec.

Je revendique mon droit à la gratuité et j'estime que si je ne veux rien en échange, on ne doit pas me forcer. N'ai-je donc pas le droit de rendre service sans que quelqu'un le transforme en transaction ? C'est donc si compliqué de bénéficier gratuitement d'un geste ? d'aider gratuitement ? N'aide-t-il jamais personne ? Avait-il à tout prix besoin de rémunérer mon honnêteté ? N'ai-je donc pas le droit d'être altruiste ?

Aucune adresse sur l'enveloppe, je ne peux même pas le remercier de la carte (amplement suffisante) ou lui rendre ses chèques cadeaux. Pas assez confiance en moi ?

Sans même qu'il comprenne pourquoi, juste par facilité, il a renié mon geste. Quel conditionnement peut produire ce besoin de monnayer le civisme ? Pourquoi l'argent doit-il toujours avoir le dernier mot ?

J'ai échoué dans ma vraie « bonne action » : lui apprendre le désintéressement.

Commentaires

1. Le 5. janvier 2021, 3h37 par siragm29

Vous auriez dû accepter la somme en liquide devant le policier et la distribuer à plus pauvre que vous en les informant de votre décision !
Cordialement,
siragm29

2. Le 5. janvier 2021, 9h30 par le gauchiste

Certes, mais déjà, on gardait alors le concept de « donnant-donnant ». Ce qui ne réglait pas mon problème de « geste gratuit ».

Et quand j'ai de l'argent, je ne suis pas non plus au point de le donner. Je n'ai pas assez de marge...

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet