Mort aux vaches !

C'est injuste, mais il en a été décidé ainsi : je suis condamné à mort.

Inutile de se plaindre, de manifester, de revendiquer le droit à la justice. Nulle grève n'y changera quoi que ce soit, même la grève de la faim. Aujourd'hui, je suis dans le couloir de la mort.

On décide maintenant de tuer les condamnés les uns après les autres. Cela s'appelle le "progrès". Cela permet de ne pas remettre en place les procédures de mise à mort à chaque fois. On s'épargne des efforts, et certainement un peu d'argent aussi. Mais quand même, j'aurais bien aimé qu'on me traite avec plus d'égards. J'aurais aimé que le bourreau prenne son temps, qu'il soit à l'écoute. Après tout, une vie, même mauvaise, c'est une vie. Surtout que je n'ai toujours pas compris de quoi on m'accusait.

C'est ici le couloir de la mort. Tous positionnés les uns après les autres. Si j'essaie de m'enfuir, un surveillant m'assène un coup de matraque électrique. J'ai donc le choix entre mourir, ou souffrir avant de mourir. Seule l'angoisse m'atteint pour le moment. Et finalement, peut-être l'espoir que cela s'arrête avant moi.

Je vois une dizaine de condamnés, comme ça, devant moi. Ils entrent dans une pièce et on les entend hurler. Le bourreau n'est certainement pas un humaniste. Ou sinon, c'est qu'il est mal équipé. Vraiment mal.

Je serai le prochain à y passer. Je reste derrière la porte et je vois tout ce qui se passe à travers la vitre. Des électrodes sont placées sur ses tempes, de façon qu'il ne souffre pas trop pendant qu'on le vide de son sang. C'est long. Le sang ne coule plus, mais il bouge encore, il se débat.

Cette année encore, nous sommes un milliard de bovins à être tués ainsi. Dans 1 cas sur 6, les électrodes sont mal placées et la douleur est amplifiée au lieu de nous faire perdre l'esprit. Dans certains abattoirs, c'est un pieu qui nous transperce le cerveau, mais il n'atteint pas toujours sa cible. On déguste. Surtout que parfois, la mort peut mettre un quart d'heure à venir malgré l'égorgement. Certains sont découpés encore vivants. Pas le temps d'attendre. La société de consommation en a besoin. Elle est avide de sang. L'économie est une religion hautement sacrificielle.

Je réalise maintenant que ma vie entière, de souffrance, d'injustice, n'a jamais eu d'autre but que cet instant : ma mise à mort.

Mon heure vient, ma libération, peut-être. Pourvu que le bourreau s'y prenne bien, car il vient d'en rater deux...

Commentaires

1. Le 1. juillet 2016, 10h55 par Bernard

Merci pour ce billet, une fois de plus extrêmement bien écrit.
Pas un abattoir en France ne survivrait à ce qu'on y filme les pratiques quotidiennes. Pas un.

2. Le 3. juillet 2016, 12h58 par Mimi

particulièrement convaincant

3. Le 1. août 2016, 11h43 par le gauchiste

Un peu dans le même esprit, cet article du monde.

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