Le voile de Marianne

Ça commence à faire 20 ans qu'on nous ressort la question du « voile ». Pas celui que portait la vierge Marie, non (mais presque) : celui que portent aujourd'hui certaines femmes musulmanes.

Ce vêtement a pour but de cacher les cheveux. Il est généralement associé à d'autres vêtements dont le but est de cacher un peu tout le corps (bras et jambes). Je ne parlerai pas ici des voiles qui cachent aussi le visage ou même les yeux, car c'est une autre question.

On le porterait pour des raisons religieuses : mais ce voile, différent d'un pays ou d'une époque à l'autre, parfois obligatoire, parfois non utilisé, est en fait culturel. Rien dans le Coran ne dicte quoi que ce soit de précis (« cacher ses atours »). D'ailleurs, dans certains pays, ce voile laisse apparaître les cheveux (notamment en Iran, où il est obligatoire). La religion catholique, par exemple, prend aussi pas mal de libertés sur la Bible, révélant ainsi plus sa « culture religieuse » que le texte sacré : manger du poisson le vendredi, voter à droite, tabasser les protestants, pas de sexe avant le mariage, interdire les curés femmes ou mariés, etc.

« Toute femme qui prie ou prophétise sans avoir la tête couverte fait honte à sa tête : c’est exactement comme si elle était rasée. » — Nouveau Testament
Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens - Chapitre 11.5

La culture chrétienne occidentale serait donc très mal placée pour dire aux musulmans comment lire le Coran et s'habiller. C'est précisément pour cela que l'on a inventé la « laïcité ». On fait des lois qu'on met dans un pot commun et qui doivent (en théorie) être étrangères à la religion. Ce sont aux religions de s'y soumettre, quelles qu'elles soient. Il est vrai que la « culture judéo-chrétienne » a sans doute pas mal orienté nos pratiques et qu'il est impossible aujourd'hui de prétendre à une neutralité absolue dans nos lois. Les interdictions de tuer ou de voler, par exemple, nous sont peut-être inspirées de la Bible. D'ailleurs, l'adultère peut encore constituer une raison de divorce pour « faute » dans le mariage.

On prétend parfois que « le mari » imposerait ce voile. Et finalement, s'il celui-ci impose un voile, est-ce qu'un autre n'imposera pas une mini-jupe ou une fourrure exubérante ? On ne peut pas être derrière chacun. Les femmes voilées que je connais portent toutes ce voile par choix personnel, parfois même contre le choix de leur conjoint. Ma culture me dit simplement que les hommes se découvrent en de nombreuses occasions, mais que les femmes gardent leur coiffe en toutes circonstances.

Depuis que j'existe, je vois la religion comme quelque chose de plutôt personnel, tout comme l'orientation sexuelle ou parfois même les opinions politiques pour certains. En fait, je ne suis pas habitué à croiser des gens qui, par leurs vêtements, m'interpellent et me disent : « hé, regarde bien, je suis catholique ». Je pense que c'est cette raison qui a donné au voile une image envahissante de l'Islam, et qui a pu choquer ceux qui ne souhaitaient pas qu'on leur assène une religion qu'ils ne voulaient pas connaître. Il ne s'agit pas toujours de xénophobie. Mais lorsque l'on voit quelqu'un dont la première chose qu'il souhaite dire avant même de parler est sa religion, j'ai tendance à faire un pas de côté, un peu brusqué par une croyance que je préférais intime. D'où un léger malaise. Mais cette discrétion culturelle est complètement intégré par la plupart des musulmans français.

Il est vrai que les seuls qui portent un uniforme en France, ce sont les gens qui ont un métier (curé, flic, militaire, garde républicain, grooms, vendeur Casto...) ou qui se cachent (religieux et moines, sectes, académiciens...). Certaines communautés aussi ont un signe distinctif : de nombreux juifs sont reconnaissables par une coiffure et un couvre-chef particuliers. Il existe donc un précédent français. On l'a peut-être un peu perdu de vue, depuis que la guerre a tué un quart des Juifs de France.

Mais un autre aspect, plus sémantique cette fois, nous fait réagir face au voile. On sait que de nombreuses femmes de par le monde meurent de refuser de le porter : dans les pays où le voile est obligatoire (Arabie Saoudite, Iran...), mais aussi dans d'autres pays, lorsque le poids culturel familial impose d'une main de fer cette tradition (car il ne s'agit que d'une tradition). Alors nous réagissons en pensant que porter le voile, c'est faire honte à ces femmes mortes ou soumises. Il est vrai que militer pour porter ce voile chargé de sens est vraiment cynique. D'autant plus surprenant lorsque ce message est porté par des féministes au nom de la liberté. D'autant plus surprenant que ce voile est symboliquement là pour afficher l'infériorité de la femme par rapport à l'homme devant Dieu (ici).

Est-ce qu'on verrait un descendant d'esclave porter des chaînes pour témoigner de sa culture ? un juif porter l'étoile jaune ? Que penseriez-vous de quelqu'un qui se promènerait avec une corde bien laïque autour du cou ? Certes, les catholiques portent une potence (la croix du Christ), mais bon...

On cherche à mon avis à justifier notre propre problème avec ce voile. Et on le justifie de la pire façon : en accusant la religion. Ce voile, comme tout vêtement, doit être considéré comme un choix personnel, une habitude culturelle. On peut lui reprocher toutes sortes de choses. Mais interdire un vêtement est une autre affaire. Et si certains redoutent une invasion arabe, qu'ils soient rassurés, cette histoire de voile n'y changera rien. Regardons-le donc d'un point de vue laïc : qu'on l'aime ou pas, c'est avant tout un carré de tissu, à l'image de celui que portaient les femmes pour aller à la messe.

Un grand paradoxe de notre société, c'est quand même d'avoir réduit les maillots de bains à la taille de leur étiquette de prix, et de crier à la provocation lorsque ce vêtement occultant est jugé cultuellement impudique.

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