Endetté à la naissance

– Vous venez de naître, bonjour.
– Pardon ?
– Oui, vous êtes né. Maintenant, vous êtes en vie. Et histoire que vous sachiez où vous mettez les pieds, il est question de voir ce que vous possédez.
– Merci, c'est gentil.
– Ne vous emballez pas, en fait, il est surtout question de vos dettes.
– Mes dettes ? Mais c'est impossible, je viens juste de naître !
– Rassurez-vous, on s'est occupé de tout ça pour vous. Considérez cela comme un héritage.
– Je préfère attendre que vous épongiez les dettes avant d'hériter.
– Surtout pas. On ne va pas tout faire non plus. Chaque génération a ses problèmes. Nous, on dépense, vous, vous épongez.
– Ah ben ça fait plaisir, on se sent bien chez soi...
– Alors... justement à ce sujet, il faut que vous sachiez qu'il n'existe plus aucune surface terrestre libre ou gratuite, à part à la rigueur dans l'eau. Vous nagez bien ?
– Je ne sais pas encore, j'imagine que non...
– Vous serez donc hébergé chez vos parents le temps que quelqu'un meure ou soit plus pauvre que vous.
– Vous savez, moi, juste un peu de terre cultivable et je me débrouille !
– Et bien désolé, mais ça aussi, c'est pris. Il faudra le prendre à quelqu'un... vous auriez demandé du sable, j'aurais pu tenter quelque chose, mais là...
– Mais qu'est-ce que vous avez donc fait avant que j'arrive ?
– Nous avons doublé la population et inégalement réparti les biens. L'air, les sols et l'eau sont tous pollués, sans compter le climat que nous avons déréglé. Nombre de vos contemporains sont en guerre, mais c'est surtout à l'étranger ça, vous avez de la chance pour le moment.
– C'est donc ça les dettes dont vous me parliez à l'instant ?
– Pas tout à fait, j'y viens. Vous êtes né en France, vous devez donc à l'État... 34 700€.
– Ah oui ? Et bien je saurai pourquoi je travaille comme ça !
– Là aussi... c'est à la fois la bonne et la mauvaise nouvelle : il n'y a plus de travail. À force de produire, on n'a vraiment plus besoin de rien, et donc il n'y a pas de travail. On a automatisé tout ce qui restait à faire et de toute façon, personne n'a d'argent pour acheter, donc on produit moins. Mais pour vous occuper, vous pourrez « chercher du travail ». Ça se fait beaucoup de nos jours.
– Chercher ? Mais chercher quoi s'il n'y a pas de travail ?
– C'est là qu'il faut être créatif. Développez votre esprit de compétition et vous pourrez certainement prendre le boulot de quelqu'un d'autre.
– Ne pourrait-on pas plutôt partager le travail à faire ?
– Bien sûr que non ! C'est à chacun de « gagner sa vie » dans une saine compétition ! C'est la règle de la performance individuelle. Et dépêchez-vous, parce qu'en attendant, votre dette augmente...

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