La recherche fondamentale

Nous avons un prix Nobel de chimie. Cela veut dire que le travail d'une équipe de chercheurs a été récompensé pour ses avancées sur le plan scientifique.

C'est la lecture d'un article du monde qui m'a donné l'idée de ce billet. Il montre à quel point les félicitations de notre Président bien aimé sont cyniques, tant il a continué la destruction de la recherche fondamentale déjà bien avancée par son prédécesseur, Nicolas Ier.

Je souhaite donc profiter de l'occasion pour rappeler quelle est la différence entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Car aujourd'hui, finalement, on remplace la première (publique) par la seconde (privée).

La recherche fondamentale, c'est de laisser un chercheur suivre son idée, sur un thème de recherche qui l'inspire, et dont l'application directe dans la vie n'a parfois rien d'évident. Parfois même le lien n'existe pas, il n'existera jamais. Mais cette recherche est aussi celle qui permet de voir loin. C'est aussi la recherche des grands projets.

La recherche appliquée, c'est quand ton patron te dit de fabriquer un grain de blé qui résiste aux insectes et aux herbicides. Il se fout de la qualité nutritive de l'invention, il veut un résultat. On pourra lui demander de prouver qu'un pesticide n'est pas neurotoxique par exemple (sans se soucier qu'il le soit ou non) et en tordant la question, on lui demandera les cas où il n'est pas prouvé qu'il soit nocif. On lui demandera d'inventer un plastifiant qui ne soit pas le Bisphénol A, quelle qu'en soit la toxicité, pour pouvoir répondre aux nouvelles normes sanitaires sans avoir à changer ses habitudes de production. L'éthique du chercheur devra parfois mettre dans la balance son poste ou l'avancement d'autres projets. Cette recherche amène à des brevets qui privatisent les inventions, certains progrès aussi. C'est ainsi qu'avance le brevet du vivant.

La recherche appliquée permet de faire de vraies découvertes dans certains cas. Mais elle ne remplacera jamais la recherche fondamentale, qui est désintéressée et profite à tous. On a trop tendance à croire que l'innovation dépend de l'industrie. Doit-on rappeler combien sont morts parce que l'industrie a caché une toxicité ? Combien l'industrie militaire oriente les choix politiques ? Entre l'opacité de la recherche appliquée à l'industrie et la transparence par les publications de la recherche fondamentale, on se fait une idée.

Remettre un peu d'argent dans la recherche fondamentale, c'est accepter l'idée que la paix peut aussi amener de l'innovation.

Commentaires

1. Le 26. octobre 2016, 9h26 par Plk

Tu es un peu dur avec la recherche appliquée, là.

Le rôle de la recherche appliquée, c'est de faire le lien entre la recherche fondamentale, et l’ingénierie. Comme son nom l'indique assez bien, c'est de trouver des applications.

Et c'est grâce à ça qu'on peut avoir des médicaments, par exemple (puisqu'on parle surtout de chimie aujourd'hui, apparemment).

Alors oui, le financement de la recherche (appliquée ou fondamentale, peu importe) par des entreprises, c'est un problème. Il y a l'orientation des recherches seulement dans les directions où quelqu'un veut bien payer, par exemple.

Un mot sur les brevets. Le deal, c'est "je publie mon invention, et en échange, je touche des sous si quelqu'un l'utilise, pendant 20 ans". Sans ça, les entreprises ne publierait rien du tout, et se protégeraient en gardant leurs recettes secrètes. Le brevet, au départ, c'est un moyen de forcer les entreprises à publier leurs découvertes. Maintenant, il y a plein de dérives, et on peut discuter sur l'équilibre du dispositif (dans certains cas, 20 ans, c'est trop long, dans d'autres, c'est peut-être trop court).

Alors oui, c'est bien que l'état mette des sous dans la recherche. Dans la recherche fondamentale, et aussi dans la recherche appliquée, parce que ça ne marchera pas bien s'il n'y a que des entreprises pour le faire. Et tant qu'à faire, l'état pourrait bien en profiter pour poser quelques brevets, ça lui fera récupérer un peu de son argent, non?

Aux USA, il y a des universités qui posent des brevets et ça leur permet de financer leurs activités de recherche. Je pense à l'invention de la Gatorade (wikipedia en anglais, la page en français n'a pas beaucoup d'infos: https://en.wikipedia.org/wiki/Gator...). D'ailleurs, il y a quelques histoires de rachat de brevet pour des recettes finalement jamais commercialisées là dedans, aussi...

2. Le 27. octobre 2016, 12h43 par le gauchiste

Tu abordes plusieurs aspects auxquels j'aimerais réagir rapidement dans un premier temps, quitte à y revenir plus tard dans des billets.

Tu as raison souligner que j'oppose « recherche appliquée / fondamentale » là où je devrais opposer « public / privé ». Mais la recherche appliquée est surtout privée, et la fondamentale surtout publique.

D'une part, la recherche pharmaceutique. Elle est à mes yeux vraiment différente des autres. Peut-être plus immorale (statines contre le cholestérol, Bayer qui va maintenant soigner les cancers qu'il cause, études « médicales » qui pointent les bénéfices du tabac dans les années 60...).

Une recherche qui n'est pas directement rentable n'est pas exploitée industriellement. Aussi, on ne voit pas encore (mais ça viendra) de recherche dans le privé sur les particules élémentaires (sauf pour l'atome depuis peu), pour l'observation des étoiles ou la carte du génome humain (sauf lorsqu'il s'agit de le breveter).

Pour ce qui est du brevet, là encore j'ai beaucoup à dire. Le sujet n'est pas simple (surtout si tu parles de la chimie / ADN / pharmacie). Et le problème est différent en France ou dans le monde. En gros, je pense que l'État ne devrait pas se financer par des brevets mais par des impôts.

Dernier mot : tu dis « Le brevet, au départ, c'est un moyen de forcer les entreprises à publier leurs découvertes. ». Pas d'accord : au départ, le brevet est un truc pour protéger les particuliers inventeurs (concours Lépine) des entreprises gloutonnes. Il est devenu l'inverse (Patent troll, etc.).

Mais globalement, tu l'auras compris, mon propos est surtout de reprocher le désengagement de l'État dans la recherche.

Merci pour ta réaction qui m'a donné plein d'idées de sujets à aborder (bien que je n'en manque pas vraiment) !

3. Le 27. octobre 2016, 9h40 par Plk

Je maintiens pour le brevet. Le but, au départ, est d'encourager la diffusion de l'innovation. ça date de la révolution, le brevet, alors je ne sais même pas s'il y avait des "entreprises gloutonnes" à l'époque.

Et donc, avant les brevets, le seul moyen de "protéger" une invention pour ne pas qu'elle soit copiée, c'était de garder les plans à l'abri dans un coffre fort. C'est toujours possible aujourd'hui, ça s'appelle le secret de fabrication. ça marche pour certains produits où il est difficile de faire de l'ingénierie inverse.

Par exemple, ça marche bien pour une recette de lessive (ou de cuisine, d'ailleurs). On aura beau connaître la liste des ingrédents en analysant le contenu, on ne pourra pas pour autant refaire la même chose. C'est le cas par exemple du Coca ou du Nutella.

ça marche moins bien pour un moteur à explosion (qui fut en son temps sous brevet). Parce qu'il est relativement facile de le démonter pour comprendre comment il marche.

Et donc, avec ce système où la seule protection est de garder quelque chose secret, chacun garde sa recherche (appliquée) dans son coin, et rien n'est publié. Voilà à quoi ça ressemble, un monde sans brevet.

Avec les brevets, maintenant, un inventeur peut obtenir un droit d'exclusivité sur son invention. Pendant 20 ans, personne d'autre n'a le droit de l'utiliser. Ce qui permet à l'inventeur de le faire, et de récupérer son investissement.

Il y a une contrepartie importante, quand même: le brevet est public et il contient une description de l'invention. Du coup, une fois que le brevet est expiré, l'invention tombe dans le domaine public.

Bon, maintenant, c'est clair, le système est loin d'être parfait et aujourd'hui il y a plein de dérives. Patent trolls, mais aussi les boîtes qui achètent un brevet pour ne rien en faire, juste empêcher les autres de s'en servir. Et encore les gens qui déposent des brevets tellement vagues qu'on ne sait pas trop ce que c'était leur invention. L'EFF (encore un site en anglais, désolé!) publie d'ailleurs le "brevet stupide du mois" avec quelques exemples tout à fait remarquables: https://www.eff.org/fr/deeplinks/20...

Cela dit, il me semble que les problèmes ne viennent pas forcément de l'idée du brevet (qui me semble pas trop débile), mais plutôt d'une mauvaise application: office des brevets qui accepte n'importe quoi, durée peut-être trop longue, le fait qu'il soit possible de vendre un brevet (ou un droit d'exploitation), par exemple. Il y a des choses à faire évoluer.

Tiens, pour voir un peu ce que ça donne un monde sans brevet, on peut regarder du côté des gens qui essaient de découvrir le mouvement perpétuel ou ce genre de choses. Ce sont les seuls brevets qui sont systématiquement rejetés (y compris un des premiers brevets sur l'amplificateur électronique, parce qu'il annonçait un rendement supérieur à l'unité). Du coup, on y trouve plein d'inventeurs parano qui ne veulent pas montrer comment leur invention fonctionne, de peur de se la faire piquer par l'armée ou je sais pas qui.

4. Le 27. octobre 2016, 10h53 par le gauchiste

« Je maintiens pour le brevet. Le but, au départ, est d'encourager la diffusion de l'innovation.»

Je suis d'accord avec ça. Il n'était pas nécessairement question que les entreprises diffusent leurs idées (c'est là-dessus que je réagissais). D'ailleurs, le brevet n'a pas été taillé spécifiquement pour des entreprises, mais pour des « personnes » (les entreprises étant des « personnes morales »). Et sa fonction, son utilisation ont évolué au fil du temps. Tout simplement parce que la société a changé. Aujourd'hui, déposer un brevet n'est que rarement le fait d'un particulier, notamment à cause du coût (notamment les brevets internationaux).

Je ne conteste pas en soi l'idée du brevet, même si des adaptations seraient à prévoir. En France, on a même de la chance de ce point de vue. Pourvu que ça dure... soyons vigilants.

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